1914-1918 / Extraits du Journal de Guerre
de Francois Masurel Lussiez (1878-1966)
Samedi 1er Août 1914 - Tourcoing A cause des bruits de guerre, je suis rentré à Tourcoing hier après-midi. Au bureau, avec mon oncle Edmond et Dutertre nous discutons. C'est impossible dit-on, il ne peut plus y avoir de guerre, ne nous tourmentons pas. |
Dimanche 2 Août 1914 - Tourcoing J'ai rencontré Auguste Poullin, officier de dragons de réserve, venu pour faire la réquisition des chevaux. Les cafés regorgent de monde. La guerre ne fait plus de doute. A 3 heures on affiche l'ordre de mobilisation générale. Cette fois ça y est. Consternation, adieux pénibles. Que de larmes ont été versées ce jour là. |
Lundi 3 Août 1914 - Tourcoing
Préparatifs, adieux, tout le monde rejoint son poste. Calme admirable, enthousiasme. Je quitte Tourcoing à cinq heures pour me rendre à Lille en tramway. C'est demain matin, 3ème jour de mobilisation, que je rejoins mon poste au premier escadron du train...
... Dimanche 23 Août 1914 - Givry
6 heures. On ramène des blessés. Un grand uhlan qui s'est fait prendre le matin est couché dans une grange, il pleure et croît qu'on va le fusiller.
Nous nous tenons derrière les batteries en action.
Des sharpnells arrivent autour de nous. Le cheval du Malten Cart est tué. Des chevaux d'avant train prennent peur et s'enfuient à travers champs. Les blessés continuent à arriver. J'en vois un, étendu, livide sur une civière couvert de sang. Quel affreux spectacle. On ramène les avant trains. Le feu cesse, nous rentrons dans Givry pour y passer la nuit. On ne desselle pas, il faut être prêt à une alerte, car nous sommes à peine à 4 kilomètres de l'ennemi...
Lundi 24 Août 1914 - Givry
Nuit calme, nous repartons au petit jour et rentrons en France pour cantonner aux Mottes près de Feignères. Très forte canonnade. Nous couchons dans une prairie à 1km de Bavay.
Mardi 25 Août 1914 - Bavay
Nous battons en retraite dans la direction d'Avesnes. On se bat dans la région de Houdain. Halte à Lival. Nous nous dirigeons vers Maroilles. En route un cycliste y signale la présence des Allemands. Terrible panique quand on donne l'ordre de demi-tour par pièce. Un sergent me bouscule, je suis jeté à bas de mon cheval et n'échappe que par miracle à l'avalanche des pièces et caissons qui dévalent la côte.
Des pièces sont mises en batterie au bas de la route.
Finalement je perd mon unité et ralie le 224ème d'infanterie avec Flament perdu également. Nous marchons dans la nuit jusqu'à deux heures du matin. Marche pénible car je me suis fait mal à la jambe en tombant de cheval et je boîte.
A Marbaix il faut enfoncer les portes des maisons pour trouver un abri car il pleut. Je suis éreinté, j'ai servi de guide au bataillon et ai du parler murter avec les sentinelles anglaises qui arrêtaient notre colonne sur la route. A chaque instant partaient des coups de feu d'on ne sait où.
Je me couche sur les dalles d'une chaumière pleine de soldats et je m'endors malgrè tout.
Mercredi 26 Août 1914 - Marbaix
Réveil à cinq heures. On nous distribue une boule de son immangeable. Je suis un convoi de gendarmes avec Flament. Un cheval qui avait la tête traversée d'une balle suit lamentablement le fourgon. Le soir Flament retrouve son bataillon que je suis également.
Jeudi 27Août 1914
Je ne sais plus où nous sommes et je pousse un cri de joie en retrouvant ma brigade. Mon cheval est perdu. Je n'ai plus ni manteau, ni paquetage. J'ai perdu une guitre.
Je garderai de ces deux dernières journées un souvenir ineffaçable. Souffrances physiques. Souffrances morales. La sensation de défaite. Pourtant nous ne voyions pas l'ennemi, mais il était si près.
Après une longue marche nous cantonnons à dix kilomètres de Guise, en plein champ, comme depuis le début de la retraite.
Vendredi 28 Août 1914 - Guise
Nous reculons vers la Fère. Les populations partout affolées ne comprennent rien à ce recul. Nous non plus d'ailleurs.
Le moral des troupes néanmoins est bon, le ravitaillement se fait bien.
Quelques défaillances, par ci par là des hommes tombent épuisés.
Les chevaux sont les martyrs de cette retraite, ils toussent, se blessent et les bords des routes sont couverts de leurs cadavres.
Après nous être arrêtés à Servais, à trois kilomètres de la Fère, nous allons camper à Armigny.
Mauvaises nouvelles, on évacue la Fère.
Samedi 29 Août 1914 - Armigny
On m'a placé de garde sur la route de Chauny pour vérifier les laissez-passer des civils.
Deux ponts sautent pendant la nuit.
Dimanche 30 Août 1914
Toujours la retraite qui s'accentue. Nous nous dirigeons vers Paris en traversant Villers- Cotterets et Soissons à travers la forêt de St Gotain.
Nous ne rencontrons aucune troupe française. C'est à croire que l'armée française n'existe plus.
Mercredi 2 Septembre - Meaux
La ville est déserte. La plupart des habitants ont fui l'invasion...
...Mercredi 3 Février 1915 - Cambrins Me mets en rapport avec le Général Gaillat pour l'installation d'un téléphone. Vais aux tranchées avec le lieutenant Marshall pour y étudier les emplacements de mitrailleuses et de mortiers. Un guide nous emmène par un boyau à la maison rouge, PC du Colonel de la 256ème Inf. et de là partons en première ligne. Jamais je ne me suis trouvé aussi près de l'ennemi, aussi suis-je un peu ému. La mairie de Cambrins en fev 1915 --> |
Jeudi 4 Février 1915 - Cambrins
Suis allé au poste d'observation de la fosse n° 9 situé en haut du crassier. On aperçoit à gauche la grande route Lille-Béthune, le canal d'Aire à La Bassée, Vermelles et Noyelles-lez-Vermelles à droite ainsi que Auchy-lez-La Bassée en mains boches.
Deux batteries françaises se trouvent en position au bas du crassier. Les boches la bombardent précisément quand je descend du crassier, il faut que je déguerpisse vivement pour sortir de la zone dangereuse.
Temps magnifique aujourd'hui, une véritable journée de printemps dont les aviateurs ont pu pleinement profiter.
Le staff de la 4th Guards Brigade est ainsi constitué:
Brigadier Général : Lord Cavan
Brigade Major : Major Vivian
Staff Captain : Capt Brabazon
Bombing Officer : Lt Marshall
Samedi 6 Février 1915 - Cambrins Une grande attaque est décidée sur notre front. L'artillerie ouvre le feu à 1 heure 40. Le bombardement commence appuyé par les batteries françaises. 2 H 15 : Attaque d'infanterie 2 H 22 : Une ligne de tranchées est prise 2 H 30 : Objectif atteint - 30 prisonniers et 2 officiers du 112ème R.I. Nos pertes sont : 2 officiers et 4 hommes tués, et 60 blessés. Les prisonniers déclarent devant nous que la plupart des compagnies devant nous sont commandées par des sous-officiers. <-- Château de Vermelles en 1915 |